Conférence de Serge Slama
L'intelligence artificielle pourrait-elle avoir des droits ?
Jeudi 17 mars 2022, 10-12 h
Dans cette conférence, il ne s’agira pas tant d’évoquer le droit de l’intelligence artificielle ni même la régulation juridique de celle-ci mais plutôt, de manière prospective, des droits fondamentaux de l’intelligence artificielle et en particulier des Androïdes ou des Humanoïdes, forme évoluée du robot construit à l’image de l’Homme et qui tendent à acquérir des capacités identiques et même, sur certains aspects, supérieures à celui-ci ou, s’agissant du transhumanisme, à s’hybrider avec lui.
L’idée que l’intelligence artificielle pourrait prendre le dessus sur l’humanité, ou représenter un danger pour elle, est une des idées les plus prégnante dans la science-fiction (hormis dans Wall E et, dans Starwars, C3PO & R2D2). On pense notamment à Le Jour où la Terre s’arrêta (1951, remake 2008), Planète interdite (1957), Mondwest (1973, qui a inspiré la série Westworld), Buck Rogers au 25ème siècle (1977) et plus récemment à Planète hurlante, Terminator, Alien (particulièrement le huitième passager), Blade Runner ou encore Oblivion. On pense aussi, et surtout, dans 2001 l’Odyssée de l’espace de S. Kubrick, à l’ordinateur « HAL » qui se mutine contre son équipage humain, en tentant de le sacrifier (avant d’être débranché) car il se croit davantage capable (non sans raison) que des êtres humains pour mener à bien sa mission (secrète). La bande dessinée Carbone & Silicium de Mathieu Bablet (2020) constitue une illustration plus récente d’intelligences artificielles s’émancipant de l’humanité finissante.
Avec les évolutions de l’IA, notamment compte tenu des techniques quantiques, ne devra-t-on pas considérer qu’elle devient titulaire de droits équivalents à (ou convergents vers) ceux de l’être humain ? Comme le relève Xavier Bioy, une telle réflexion amène à s’interroger « sur le concept d’humanité et sur l’anthropomorphisme des androïdes […], à se demander si on peut parler d’humanité des androïdes et si cela implique de personnaliser le robot doué d’intelligence artificielle ou tout simplement le robot faisant corps avec l’homme ». Toutefois, pour notre collègue, par hypothèse, faute d’autonomie, l’intelligence artificielle ne saurait bénéficier de « volonté propre » et, par suite, faute d’être « souverains », il estime que l’Androïde ne saurait bénéficier d’une « personnalité » ou d’un statut « pour soi » (« Vers un statut juridique des androïdes ? », Journal International de Bioéthique 2013/4 (Vol. 24), p. 85-98). Nous partons du postulat inverse selon lequel l’IA sera, un jour, souveraine. Notre présupposé est que si une entité artificielle acquérait des capacités cognitives et d’autodétermination suffisantes, elle ne sera plus (ou plus seulement ou plus essentiellement) une chose mais un être (insensible ?) et que, par suite, se posera la question de la titularité des droits fondamentaux.
A partir de ce postulat (qui est forcément falsifiable puisque nous ignorons si un jour l’IA va acquérir ces capacités cognitives), cette conférence vise à s’interroger sur les motifs qui justifieraient la reconnaissance de droits fondamentaux (anthropomorphiques, robophobiques, robophiles) et, si cette reconnaissance devait avoir lieu, s’interroger sur quelle personnalité et quels droits reconnaître notamment si ces droits devraient être identiques à ceux de l’être humain ou spécifiques à l’IA.
Références :
- Slama, S., « Les robots-androïdes, de quels droits fondamentaux ? », “Le droit des libertés en question(s) – Colloque n°2 de la RDLF”, RDLF 2019 chron. n°50.
- Slama, S., « Robots civils autonomes : : une responsabilité administrative potentielle ? », L’Actualité juridique. Droit administratif, N° 22, 2021, p. 1272.
Serge Slama est Professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, chercheur au Centre de Recherches Juridiques. Spécialiste des droits fondamentaux, il travaille notamment sur les questions des lanceurs d’alerte, du droit de l’intelligence artificielle, du droit des étrangers et de l’asile ou encore des états d’exception. Il est co-directeur du Master Droit des libertés de la faculté de droit de Grenoble. Il fait partie des contributeurs de la chaire éthique & IA de MIAI.
Cette conférence sera animée par Sophie Guicherd & Thierry Ménissier. Elle inaugure le programme « IA, éthique et problèmes du droit » dont voici la présentation :
L’émergence massive des solutions d’IA dans la société interroge le travail ordinaire du droit et le sens de la justice. Il pose au premier des questions sur sa fonction sociale, et semble même susceptible de faire évoluer l’idée de la seconde. Dans ce contexte, se trouve interrogées les possibles transformations philosophiques et anthropologiques des sens traditionnellement accordés au droit et à la justice. Ce programme vise à approfondir dans cette perspective les questions qui concernent les développements que le droit est conduit à opérer compte tenu de l’essor de l’IA. Il concerne par conséquent les thématiques suivantes :
- IA et droits fondamentaux : la question de la mise à l’épreuve des libertés fondamentales par la pratique d’objets incorporant des systèmes d’IA,
- La notion d’IA et la philosophie contemporaine du droit: quelles évolutions en cours ?
- L’IA et les régimes juridiques applicables en matière de responsabilité (civile contractuelle/ quasi délictuelle/pénale)
- L’IA en matière de droit international
- L’enjeu de la préservation de l’intégrité physique et mentale, au-delà des libertés fondamentales : le droit peut-il intervenir pour la préservation des individus à leur insu et parfois malgré eux ? Existe-il un devoir de préservation « paternaliste » que le droit est conduit à assumer dans le nouveau contexte technologique ?
Pour revoir la conférence :